Nous publions ci-dessous un texte paru en juin 1999 dans le numéro 2 de la revue du "Collectif Algérie-Machreq" qui retrace l’itinéraire du militant anticolonialste Mohamed Boudia et rend compte des circonstances dans lesquelles il a été assassiné. Nous n’oublions pas...
Mohamed Boudia est né à Alger en 1932.
Enfant de la Casbah, autodidacte, il s’élève à la conscience politique par une voie personnelle libre et indépendante.
Venu tôt à la politique, il découvre à travers la lutte contre le colonialisme, dans la clandestinité et dans les prisons françaises, le sens d’une démarche artistique puisée aux sources les plus sures : la vie réelle et les nécessités de la révolution. Cette démarche sera l’axe de sa vie. Il est un des rares intellectuels arabes à avoir su subir et dépasser les contradictions de l’artiste vivant en milieu bourgeois aliéné et du révolutionnaire dont la tâche primordiale est de redonner sons sens à la vie. A la libération de son pays, il se retrouve à la direction du Théâtre National Algérien qu’il crée de toutes pièces. Puis, à la direction du journal « Alger Ce Soir » et à celle de la revue « Novembre », où le militant et l’homme de culture ne font qu’un lorsque le poète, l’écrivain, l’artiste où le polémiste s’exprime.
Opposé, en 1965, au coup d’Etat militaire du colonel Boumedienne contre le régime de Ben Bella, Mohamed Boudia pourchassé, s’enfuit et dans l’exil en France, il continue son combat politique au sein de l’ORP (« Organisation Révolutionnaire Populaire » dont il est un des éléments les plus dynamiques).
En 1967, il participe à la fondation du FLN Clandestin (RUR) dont il est un des membres dirigeants. Administrateur du Théâtre de l’Ouest Parisien, il constitue la troupe du Théâtre Maghrébin qu’il dirige sur ses propres fonds.
La solidarité active qu’il manifeste et ne cessera de manifester jusqu’à sa mort avec la Résistance palestinienne, les mouvements de libération dans le monde et les mouvements révolutionnaires, n’était ni le produit d’un aventurisme, ni celui d’un romantisme, mais celui, profond, de sa conscience des nécessités de la lutte contre l’impérialisme et pour la Révolution.
Les faits
28 juin 1973, 10h45
Mohammed Boudia monte dans sa R.16, rangée devant l’un des immeubles de l’Université de Paris VI, 32, rue des Fossés Saint Bernard (Paris 5ème). A peine assis au volant, une déflagration disloque la voiture. Atteint aux jambes et à l’abdomen, il est tué sur le coup.
La police
Avant même d’avoir entamé son enquête, elle répand aussitôt la thèse de l’accident : Mohamed Boudia a été tué en déposant la bombe qu’il transportait sur le siège arrière de sa voiture. Un geste maladroit a déclenché l’explosion. Il venait de prendre possession de l’engin dans un des nombreux laboratoires du quartier.
La presse
Elle s’empare aussitôt de cette version. Hamchari n’avait-il pas piége lui-même son téléphone ?
« Tué par sa propre bombe. » L’Aurore du 29/6/1973 sur cinq colonnes.
« Mohamed Boudia a pu être victime d’un engin dont il prenait livraison. » Sud-Ouest du 29/6/1973
« Attentat israélien, estiment les milieux arabes. Mais pour la police, la victime transportait la bombe qui l’a déchiqueté. » La Nouvelle République de Tours du 29/6/1973
« (...) l’Hypothèse de l’attentat ne semblant pas résister aux constatations matérielles, reste la possibilité d’un accident. M Boudia transportait-il une bombe dans sa voiture et l’a-t-il fait exploser par maladresse ? (...) Mais que M. Boudia ait été sa propre victime n’est nullement exclu au siège de la brigade criminelle. » Le Figaro du 29/6/1973
« la voiture de M Boudia n’aurait pas été piégée. » Combat du 29/6/1973
« (...) Selon la police, il ne s’agirait pas d’un attentat. » L’Humanité du 29/6/1973
Quand un militant arabe est assassiné, il ne s’agit jamais d’un attentat, il s’agit toujours d’un « terroriste » victime de sa maladresse.
Une fois l’opinion publique matraquée par la fausse nouvelle, on commence à laisser sous-entendre la vérité. 30 juin 1973, dans sa rubrique « Faits divers », Le Monde s’interroge prudemment, sur une colonne : « M. Boudia a t-il été victime d’un attentat ou d’un accident ? »
A partir du 30 juin, alors qu’une évolution s’est faite et que la presse propose, parallèlement à la version « accident » de la police, celle de l’attentat, l’Aurore, tribune des services secrets israéliens, fournit des « informations techniques » de « source sûre » sur la nature de la bombe :
« (...) D’après certaines indications israéliennes, Boudia aurait été « piégé » par des agents secrets juifs. On aurait placé, sous le siège de la R.16, une machine infernale d’un modèle tout à fait nouveau : une bombe pression. Cet engin a, si on peut dire, deux avantages : tout d’abord, il se déclenche dès que la victime s’installe sur son siège, donc avant qu’elle ne mette la voiture en marche (...) Enfin, second perfectionnement apporté par la « bombe pression » : il n’est plus nécessaire de brancher des fils pour actionner la machine infernale au niveau de la clef de contact ou du démarreur (...). Car pour leur part, les services secrets israéliens ne font pas mystère de leur action éventuelle à Paris. Ils s’en amusent même. Comme ils ont « piége » le leader terroriste palestinien Hamchari, le 8 octobre 1972, ils laissent entendre que l’explosion de la rue des Fossés Saint Bernard pourrait bien être leur œuvre. Ce que conteste farouchement, on le sait, la brigade criminelle.
Au correspondant d’un journal de Jérusalem un officier de police français aurait même déclaré : « Nous n’excluons pas la possibilité que l’explosion soit l’œuvre des israéliens, mais le cas échéant, même si nous en avions les preuves, nous ne le dirions pas, et nous affirmerions le contraire. » L’Aurore du 30/6-1/7/1973.
La police et la presse, trois jours après
"Mohammed Boudia : c’était bien un attentat. »
« (...) Les enquêteurs estiment maintenant que la voiture a été piégée dans la nuit de mercredi à jeudi, alors qu’elle stationnait rue des Fossés Saint Bernard. La bombe, qui devait comporter un détonateur à mercure dissimulé sous le siège du conducteur, a explosé dès qu’il s’est assis. Ces engins sont, paraît-il, utilisés par les services secrets israéliens. » Le Journal du Dimanche du 1/7/1973 sur une petite colonne en page intérieure.
2 juillet 1973 : les assassins sionistes revendiquent leur crime :
« ...) La presse israélienne ne cherche pas à nier l’assassinat : « Maariv » écrivait hier qu’il pouvait bien y avoir un lien entre lui et une « tentative d’attentat contre le consul d’Israël à Milan ». De son côté « Yodiot Aharonoth » écrit de Paris qu’il pense que Mohammed Boudia avait pris la relève de Mahmoud El Hamchari à la tête du réseau européen de « Septembre noir (...) » Combat du 2/7/1973
« (...) Il est curieux de constater, dans certains services de M. Marcellin, une propension à accuser les Palestiniens de la responsabilité des crimes commis par les services israéliens. Lorsque Mahmoud Hamchari fut assassiné, la police affirma également, durant les premières heures, qu’il avait été tué par une bombe de sa fabrication. (...) Une information contre X...a été ouverte. Prendra-t-elle la suite de l’enquête sur la mort de Mahmoud Hamchari, dont on attend toujours les résultats, un an et demi après ? L’équation n’est pourtant pas difficile à résoudre. Le gouvernement français en sait suffisamment sur les coordonnées des « X... »en question pour prendre les mesures qui s’imposent. » L’Humanité du 2/7/1973
Un crime longuement prémédité
Le sionisme, depuis déjà très longtemps, a fait preuve de ses capacités terroristes. L’arrogance et le mépris du droit, quel que soit sa nature, de l’Etat d’Israël, lui a donné, grâce à la couverture totale de l’impérialisme, l’assurance que quoi qu’il fasse il n’a rien à craindre. Ni l’ONU, ni les organismes internationaux, ni les mouvements politiques ou humanitaires ne le gênent (tribunal Russel, MRAP, etc.) quand ils ne sont pas - de plus- ses complices.
Préparation politique
Chaque fois que les sionistes ont mené des attaques terroristes -et elles ont été nombreuses- ils se sont toujours couverts « politiquement » par avance en dénonçant et accablant leurs futures victimes. C’est le cas d’un pays, le Liban, comme celui des militants palestiniens ou de leurs camarades et amis. Ainsi, chaque fois qu’en Europe, ces dernières années, il y eut une opération palestinienne, la presse de droite et entre autres en France , Rivarol, Minute, l’Aurore a commencé par clamer que les terroristes palestiniens bénéficiaient de la sympathie de militants algériens opposés à Boumedienne.
Puis, de sympathisants, les voici transformés en hommes de main :
« Trois attentats ont été commis contre le président Houari Boumedienne, l’année écoulée. Dont un près de Rocher-Noir. Aucun d’eux n’a été révélé. Ce sont les opposants d’Europe qui les organisent. Pendant les entractes, ils sont libres et se placent. » Express du 22/28/1/1973
...Ensuite, ils sont présentés comme le bras armé des palestiniens en Europe... C’est ainsi que Boudia a été désigné en Suisse, en Italie, en Allemagne et particulièrement en France par une presse puisant ses « informations » auprès des ambassades d’Israël et des polices nationales.
Mise au point pratique
Lorsque le 15 mars 1973, un commando palestinien est arrêté au poste frontière de la Grave (Hautes-Alpes), on apprend six mois plus tard que la police a semble-t-il trouvé sur l’un d’eux, parmi d’autres noms et adresses, le nom et l’adresse de Boudia.
Tous ont été convoqués par la Police. Sauf Boudia. Les étrangers désignés sur la liste sont expulsés. Boudia n’est ni convoqué ni expulsé. Pas plus qu’il n’est inquiété ou interpellé de la moindre manière. Pourquoi ? Il est donc si important de ne pas donner à la victime désignée des raisons de se méfier...Alors qu’elle n’avait rien à lui reprocher, la police française voulait-elle l’assassinat de Boudia ?
Pouvait-elle ignorer ce que Me Vidal-Naquet révèle dans Le Monde du 3/7/1973 : « (...) J’ai été averti, il y a plusieurs mois, par une conversation avec une personne de nationalité française, qu’il est inutile de nommer ici, que les services secrets israéliens s’intéressaient tout particulièrement à Boudia (...) Je l’ai aussitôt averti de la façon la plus énergique qu’un danger le menaçait en provenance d’Israël » et que « l’aurore » du 30/6/1973 confirme : « (...) C’est alors que Jérusalem donne l’ordre de le démasquer et de le liquider coûte que coûte. »
La collusion totale du sionisme et de l’impérialisme implique la similitude et l’échange complice des méthodes. La Rank Corporation ne travaille-t-elle pas pour Israël, sans parler de la CIA ?
Aujourd’hui, devant la montée des forces révolutionnaires dans le monde, l’impérialisme utilise une nouvelle technique, celle des assassinats sélectifs :
Marighella en Amérique Latine,
Ben Barka , leader révolutionnaire marocain, Hamchari, Kubaissi, Boudia, assassinés en France,
Cabral, en Guinée,
Abou Youssef, Kamel Adouane, Kamel Nasser, au Liban,
Abou Kheir, Zwaiter à Rome.
Comme l’impérialisme tente de décapiter les mouvements révolutionnaires (exemples : les Black Panthers, les Tupamaros, le PAIGC) à travers leurs cadres politiques, les sionistes font de même pour les palestiniens.
Dans chaque cas, l’impunité est assurée.
Dans chaque cas, l’impérialisme fournit l’idéologie et les moyens. Et ses alliés, « la main d’œuvre » criminelle.
http://djamazz.centerblog.net/3193669-L-assassinat-de-Mohamed-BOUDIA-a-Paris-
martes, 2 de noviembre de 2010
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