Le site de l’hebdomadaire Le Point tire la sonnette d’alarme ce vendredi 6 avril sur un effet collatéral jusqu’à présent peu médiatisé de la crise syrienne : le pillage et la dégradation des trésors archéologiques et culturels du pays. Le Point, avec l’AFP, s’appuie sur des communications d’experts mais aussi sur une déclaration à l’AFP de la directrice des Musées de Syrie, Hiba al-Sakhel. Dont les affirmations ont effectivement de quoi inquiéter : « Depuis trois ou quatre mois, les pillages se sont multipliés. Nous avons reçu une vidéo qui montrent des gens arrachant des mosaïques au marteau-piqueur à Apamée. Et à Palmyre, il y a de nombreuses fouilles clandestines« .
Le krak des chevaliers investi par l’ASL
Apamée et Palmyre, nos lecteurs syriens et franco-syriens le savent mieux que quiconque, sont des sites majeurs de la civilisation grecque du Proche-Orient et comme tels ils sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, ainsi que quatre autres. Et ces deux haut-lieux sont les « enseignes » d’un héritage gréco-romain extrêmement riche, le patrimoine syrien s’enorgueillissant aussi de legs byzantins et médiévaux dont l’exemple le plus illustre est le Krak des chevaliers.
Or le chaos et l’insécurité ont engendré dans le pays une exposition de ce patrimoine aux prédateurs de tous poils. D’abord, bien sûr, les pillards « classiques », qui profitent de l’absence ou de la désorganisation des administrations pour faire main basse sur ce qui peut être écoulé facilement sur le marché – noir – mondial des oeuvres d’art. D’autant que, comme l’explique Mme al-Sakhel, le sol de la Syrie, qui a vu passer tant de civilisations, n’a pas encore livré tous ses trésors et que donc n’importe quel fouilleur peut, avec un minimum de chance ou de flair, exhumer des objets dignes d’intérêt : « Je pense, dit la responsable syrienne, que ces pilleurs sont des habitants attirés par le profit et qui ne comprennent par l’importance de ce qu’ils trouvent« . Mais, il n’est pas à exclure qu’avec l’infiltration de djihadistes irakiens un vandalisme de type idéologique se développe contre des vestiges de la Syrie non ou pré-musulmane, sur le modèle tristement célèbre des Bouddahs de Bamiyan dynamités en Afghanistan par une faction talibane. On n’en est pas encore là, mais les mêmes causes fanatiques peuvent entraîner les mêmes effets.
Mais cette « délinquance » à objet culturel et patrimonial, en tous cas son développement, est la conséquence d’une situation politique et Hiba al-Sakhel en donne un cas concret : les gardiens et administrateurs du krak des chevaliers, le « Château-gaillard » du Proche-Orient situé près de la frontière du Nord-Liban, ont été interdits d’entrée par des hommes armés se réclamant de l’opposition. L’opposition, de son côté, accuse l’armée d’avoir bombardé des sites comme celui d’Apamée justement, ce que dément le gouvernement. Un des experts consultés par Le Point s’inquiète particulièrement, lui, pour les villages « morts » de la région nord-ouest, proche de la Turquie et des villes d’Idleb et Alep, et dont Infosyrie, dans un de ses très rares articles culturels, avait rendu compte du classement au patrimoine mondial de l’Humanité, en juin dernier, suite à l’action de l’ambassadeur de Syrie à Paris Lamia Chakkour (voir notre article « L’UNESCO distingue la Syrie« , mis en ligne le 29 juin).
Les experts consultés par Le Point pointent en tous cas des vols importants au musée de Hama, sur le site de la cité antique d’Ebla dans la province d’Idleb, ou des déprédations sur la citadelle de Shaizar au nord de Hama. Des zones où l’autorité de l’Etat, pour faire dans la litote, a été battue en brèche ces derniers temps. Autre télescopage avec l’actualité politique, les mêmes experts notent qu’une bonne partie des pièces volées transitent vers l’extérieur par les pays voisins, notamment le Liban : comme quoi les mêmes frontières voient passer dans un sens des combattants et des armes pour ravager la Syrie, et dans l’autre des oeuvres d’art volées à la Syrie !
Le Point indique que les autorités ont quand même pris la précaution de retirer plusieurs pièces des musées nationaux. Et là, comment ne pas penser à ce qui s’est passé au musée archéologique de Bagdad dans la foulée de la chute de Saddam Hussein : les collections qui y étaient rassemblées ont été pillées et saccagées sous l’oeil bovin des G.I.’s américains, et l’affaire avait été l’un des premiers scandales liés à l’occupation américaine de l’Irak. Et bien d’autres atteintes au patrimoine de la nation héritière des civilisations de Sumer, d’Assur, de Ninive et de Babylone ont été commis à la faveur de l’intervention des « démocrates humanitaires » de George Bush Jr et de Donald Rumsfelf. On le voit, le « modèle » irakien qui a déjà inspiré les attentats à la voiture piégée de Damas et d’Alep, risque de se reproduire aux dépens du passé culturel syrien. Qui, comme le rappelle incidemment Hiba al-Sakhel, est « celui de tous les Syriens, pas celui du gouvernement ni du président mais celui de l’humanité ». Une raison supplémentaire, en tous cas, d’expulser les semeurs de chaos, non seulement du krak des chevaliers, mais de toute la Syrie.
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